La nouvelle loi sur le taxi garantira-t-elle un service équivalent aux personnes handicapées ?

Retour à la liste des communiqués de presse

Une femme en fauteuil entre dans un taxi adapté

Le projet de loi 17 du ministre Bonnardel prévoit une déréglementation importante du transport par taxi. On connait l’inquiétude légitime des travailleurs de l’industrie du taxi, mais on a peu argumenté l’impact de cette réforme sur la qualité du service à la clientèle. Pourtant, le taxi est un service d’intérêt public autant pour la population locale que pour les touristes. Il s’agit d’un complément indispensable aux services de transports publics. Les autorités ont traditionnellement réglementé ce service pour en assurer sa viabilité, sa qualité et sa sécurité.

La réforme annoncée abolit les territoires exclusifs de taxi et retire la limitation du nombre de véhicules pouvant les desservir. Le nouveau système de gestion de l’offre reposera dorénavant sur le contrôle des chauffeurs, des véhicules et des « répondants de service de transport autorisé ». Ce faisant, on élimine le concept des permis de taxi et leur valeur marchande.

Ce que nous appréhendons avec le projet de loi est l’impact des exigences trop faibles pour les chauffeurs et leurs véhicules sur la qualité de l’offre, notamment celle dédiée à la clientèle handicapée.

Notre inquiétude vient du fait que les expériences de déréglementation du taxi menées notamment aux États-Unis dans les années 80 n’ont pas démontré d’augmentation de la qualité du service ni de baisse de la tarification, ce qui a amené les autorités à ré-réglementer le taxi. [1]

Quelles peuvent être les conséquences d’un abaissement des exigences ? Une suroffre dans les zones centrales et en période de pointe, une baisse significative de l’offre dans les quartiers excentriques et les zones rurales, et une augmentation des tarifs à cause du temps d’attente plus long pour les chauffeurs. Ajoutons que l’introduction d’Uber dans le marché new-yorkais s’est soldée par une augmentation de la congestion, de la pollution et une diminution des services offerts aux personnes handicapées [2].

Une des lacunes observées au Québec à cet égard est la difficulté d’obtenir un service de taxi adapté capable de transporter une personne en fauteuil roulant. La plupart des véhicules accessibles sont réservés au transport adapté, ce qui en réduit la disponibilité. Contrairement à d’autres villes canadiennes, un Québécois handicapé n’est pas en mesure de profiter d’un service de taxi comme tout le monde : il lui faut réserver son transport la veille et, quand le service est disponible, le tarif s’avère très souvent plus élevé que le tarif prescrit par la Commission des transports du Québec. L’offre actuelle entraine des cas de discriminations qui sont acceptés par le client captif.

La réputation des taxis de Londres prouve qu’il est possible de disposer d’un service de taxi de qualité exceptionnelle basé uniquement sur les exigences à l’égard des chauffeurs et des véhicules. Mais quelles exigences ! Pour obtenir leur permis de travail, les candidats doivent étudier à temps plein en moyenne 18 mois avant de réussir leur examen. Une fois leur reconnaissance professionnelle obtenue, ils doivent utiliser le fameux taxi londonien qui depuis l’an 2000 est accessible aux personnes utilisant un fauteuil roulant et qui sera prochainement électrique.

Pour que le nouveau système de transport rémunéré de personnes par automobile mis de l’avant par le ministre Bonnardel puisse se conformer aux droits fondamentaux des personnes handicapées reconnus par nos chartes et par les conventions internationales, Kéroul recommande que les « répondants de service de transport autorisé » soient tenus d’offrir aux personnes handicapées un service de transport équivalent à celui qu’ils offrent à l’ensemble de leur clientèle. Cette mesure permettrait également de respecter la Politique de mobilité durable – 2030 du ministère du Transport du Québec.

Notre recommandation est conforme à celle du Bureau de la concurrence du Canada formulée dans son rapport sur la « Modernisation de la réglementation régissant l’industrie canadienne du taxi » [3] :

« Les organismes de réglementation pourraient fixer un nombre suffisant d’options d’accessibilité pour les résidents et visiteurs ayant un handicap, notamment en obligeant les compagnies de taxi à consacrer un pourcentage donné de leur flotte de véhicules aux services accessibles. » (Nous soulignons.)

Cette obligation universelle de « service équivalent » devrait être inscrite dans la Loi.

La fixation d’un pourcentage arbitraire ne garantit pas la disponibilité du service. L’éventualité d’une réglementation équivoque comme le prévoit l’article 138 (3e) du projet de loi ne nous convainc pas. Afin d’assurer un service de qualité pour tous, et parce que ce nouveau cadre législatif veut répondre « à un besoin de mobilité de la population (…) dans un horizon à long terme », nous espérons que ce projet de loi sera amendé.

*

Concernant la chute abrupte de la valeur marchande des permis de taxi et des drames que cela peut provoquer, Kéroul avait suggéré une mesure étalée dans le temps : « en décrétant dès aujourd’hui que dans 15 ou 20 ans les permis ne seront plus transférables, les titulaires actuels auront 20 ans pour rentabiliser et amortir leur investissement. » [4]

*

Kéroul est un organisme à but non lucratif voué au développement du tourisme et de la culture pour les personnes à capacité physique restreinte et leurs familles.

C’est volontairement que la contribution des taxis aux services publics de transport adapté n’a pas été abordée ici considérant que cette problématique a été couverte par les prises de position précédentes de la COPHAN et de l’ARUTAQ.

- 30 -

Source : Lyne Ménard, directrice adjointe, Kéroul, 514-252-3104


[3] Voir le rapport daté du 26 novembre 2015 au : http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/04007.html

[4] Kéroul, Qui peut offrir aux personnes handicapées un service de taxi équivalent à celui dont dispose l’ensemble de la population? Mémoire présenté à la Commission de l’environnement et des transports sur le transport rémunéré de personnes par automobile, Assemblée nationale du Québec, le jeudi le 10 mars 2016, 42 pages ; page 34.

La nouvelle loi sur le taxi garantira-t-elle un service équivalent aux personnes handicapées ?